« La Conférence », reconstitution glaçante d’une des heures les plus sombres de la Seconde Guerre mondiale

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20 janvier 1942. Dans le froid de l’hiver berlinois, une quinzaine de responsables nazis arrivent un par un dans la villa Marlier, cossue demeure située sur les bords du lac Wannsee. Convoqués dans le plus grand secret par le SS Reynhard Heydrich, chef de l’Office central de la sûreté du Reich, ils apprennent à leur arrivée ce pour quoi ils sont réunis : planifier l’organisation administrative, technique et économique de la «solution finale de la question juive», c’est-à-dire la mort des 11 millions de Juifs européens.

Grâce au procès-verbal de la conférence retrouvé après-guerre, le huis-clos de Matti Geschonneck reconstitue le plus fidèlement possible les débats entre ces quinze officiers, secrétaires d’Etat et gouverneurs du Reich.

Aussi lunaires que glaçants, les échanges illustrent la «banalité du mal» décrite par la philosophe Hannah Arendt. Entre deux passages au buffet, préparé pour l’occasion, les 15 officiers nazis scellent le sort de millions de vie humaines, réduites à des chiffres dans un tableau. Les euphémismes sont de mise : on ne parle pas de déportation mais d’«évacuation», on n’assassine pas, on «traite». S’il ne s’agissait pas de l’extermination d’un peuple, la réunion pourrait ressembler à n’importe quel séminaire d’entreprise. La direction d’acteur, très sobre, renforce ce sentiment dérangeant que nous avons affaire à des hommes «normaux».

UN FILM PRÉCIEUX POUR LE DEVOIR DE MÉMOIRE

Un sourire diplomatique constamment accroché au visage, le comédien allemand Philipp Hochmair campe un Heydrich tel qu’il était : affable mais impitoyable, menant la réunion à la baguette et assurant le contrôle total de la SS sur la mise en œuvre de la Shoah. A ses côtés, siègent une galerie de personnages tout aussi perturbants les uns que les autres : Adolf Eichmann, logisticien docile et appliqué de la «solution finale», Heinrich Müller, inquiétant chef de la Gestapo et bras-droit d’Heydrich ou encore Otto Hoffman, idéologue obsédé par la «pureté» de la «race» allemande.

Précieux pour le devoir de mémoire, le film donne aussi à voir les luttes intestines qui existaient au sein de l’appareil d’Etat nazi. A cet égard, «La Conférence» illustre parfaitement ce que les historiens appelleront la «polycratie nazie», c’est-à-dire l’invraisemblable enchevêtrement d’agences, ministères et autres officines qui se disputaient le pouvoir autour d’Hitler. Malgré une brève présentation des participants à la conférence, on en vient parfois d’ailleurs à les confondre – un petit carton pour rappeler «qui est qui» n’aurait pas été de trop.

Au fil d’une heure et demie d’échanges terrifiants, le moindre propos un peu plus nuancé que les autres ferait presque passer celui qui le prononce pour un résistant. Ainsi de Wilhelm Stuckart, représentant du ministre de l’Intérieur et corédacteur des Lois de Nuremberg, qui s’oppose à l’extermination des «demi-juifs» au nom du respect du droit germanique. Ou de Friedrich Wilhelm Kritzinger, numéro 2 de la Chancellerie, qui fait valoir sa morale de «fils de pasteur» pour dire son aversion pour les exécutions par balles commises dans l’Europe de l’Est par les funestes Einsatzgruppen. Mais le spectateur ne s’y trompe pas : tous ont fini par acquiescer au plan qui allait mener à la mort de 6 millions de Juifs dans les camps de concentration et d’extermination.

François Blanchard

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